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Challenge ABC 2008
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17 décembre 2007

Mon challenge 2008 : Nanne

Ayant été heureuse de participer au Challenge 2007, même si je suis loin d'avoir terminée celle-ci, j'ai décidé de participer à nouveau au Challenge 2008. Si pour 2007, ma liste ne comportait pas de thème précis, celui de 2008 se fera sous un sujet bien spécifique. En effet, afin de pouvoir placer des livres de 2007 non présentés pour cause de manque de temps ou de mauvaise organisation de ma part, j'ai trouvé le thème des villes, rues et quartiers dans les titres présentés. Une belle manière de voyager un peu partout ... sans même se déplacer.

A - Anonyme - Une femme à Berlin - Journal 20/04 au 22/06/ 1945

B - Isaac Bashevis Singer - Le petit monde de la rue Krochmalna (Varsovie)

C - Jean-Paul Caracalla - Montparnasse, l'âge d'or

D - Jean-Christophe Duchon-Doris - Le cuisinier de Talleyrand : meurtre au Congrès de Vienne

E - Vicente Escriva - Le dernier sultan de Grenade

F - Paul Feval - Les mystères de Londres

G - Sylvie Germain - La pleurante des rues de Prague

H - Eddy L. Harris : Harlem

I - Claude Izner - Le talisman de La Villette

J - Henry James - Washington Square

K - Colette Kowalski - Les murailles invisibles : une famille allemande sous les lois de Nuremberg

L - Lao She - Gens de Pékin (Challenge 2007)

M - James Morier - Les aventures de Hadji Baba d'Ispahan (Challenge 2007)

N - Harold Nebenzal - Berlin café

O - Cynthia Ozick - Le messie de Stokholm

P - Pier-Maria Pasinetti - De Venise à Venise (Challenge 2007)

Q - Pascal Quignard - Terrasse à Rome

R - Rainer-Maria Rilke - Nouvelles pragoises

S - Magda Szabo - Rue Katalin (Budapest)

T - Franck Tallis - Du sang sur Vienne

U - Hiroshi Ueda - L'Opéra de Pékin

V - Arkadi et Gueorgui Vaïner - 38 rue Petrovka (Moscou)

W - Glenway Wescott - Un appartement à Athènes

X - Xinglong Lin - Du thé d'hiver pour Pékin

Y - Xia Yan - Sous les toits de Shanghaï

Z - Arnold Zweig - Sortilèges à Palerme (Challenge 2007)

Je souhaite bon courage et bonne change à tous ceux et toutes celles qui viendront nous rejoindre et qui partageront leur moment de lecture. Vive l'année 2008, remplie de promesses de joie littéraire et de découvertes. A très bientôt pour de nouvelles aventures...

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N
Lorsque Corentin Jourdan, marin au long cours retiré sur son lopin de terre de la presqu'île du Cotentin, sauve la vie de Sophie Claisange, il ne sait pas encore que son destin vient de basculer. Ce sauvetage lui a fait remonter en mémoire des souvenirs personnels et amoureux enfouis aux tréfonds de son âme, celui de Clélia, sa cousin décédée. Lui qui s'était promis de ne plus jamais tomber amoureux, le voilà parti pour Paris, ville de perdition, à la recherche de sa belle sauvée des eaux un matin brumeux de janvier 1894.<br /> <br /> A quelques temps de là, marché de la Villette, "chef-lieu de la boucherie, métropole du bifteck, du fricandeau, du gigot, des abats [...]", un certain Martin Lorson va remplacer un ami pour quelques heures. Cette fonction de remplaçant professionnel est toute sa fierté, car c'est lui qui l'a trouvée. "N'avait-il pas échafaudé une issue à ses tracas ? Plus de patron ni de promotion, plus d'épouse, plus de loyer, de meubles et de possessions, hormis les effets remisés à l'intérieur de la baraque. L'indépendance, la vraie". Seulement, ce métier ne comporte pas que des avantages. Des inconvénients, aussi. Et ceux-ci sont de taille. Voilà que notre remplaçant chevronné assiste, médusé, à un meurtre dans le quartier de la Villette. On n'y estourbit pas que les animaux d'abattoir. Les belles de nuit aussi.<br /> <br /> Alors que Victor Legris, le libraire de l'Elzévir, hésite sur la tournure de son avenir professionnel, voici que surgit Maurice Laumier, peintre de son état. La raison de sa venue ? Mireille Lestocart, alias Mimi, sa muse, est inquiète pour sa cousine - Louise Fontane - surnommée Loulou, disparue sans laisser de traces depuis trois semaines. Bonne occasion de couper court à la routine pour Victor Legris qui commençait à s'ennuyer ferme au milieu de ses grimoires.<br /> <br /> Pour débuter l'enquête, autant se rendre chez le seul et unique témoin du meurtre, Martin Lorson. Drôle de déposant qui ne se souvient plus très bien de ce qu'il a entrevu. Toutefois, il laisse à Victor Legris un mystérieux médaillon. "Pour finir, il fouilla son habit effrangé et exhiba une chaînette où pendait un médaillon d'argent représentant, gravée en relief, une licorne de profil liserée de noir, campée sur ses pattes antérieures". Drôle de talisman trouvé à côté de la victime. Mince élément d'une enquête qui s'avère ardue. L'enquête mènera Victor Legris et son acolyte Joseph Pignot des bas-fonds de la capitale aux beaux salons feutrés de la bourgeoisie parisienne, à la recherche d'indices sur la vie et les fréquentations de Louise Fontane.<br /> <br /> De fil en aiguille, Victor Legris apprend que la victime et Sophie Clairsange se connaissaient. Lentement mais sûrement, nos deux compères apprennent que cette dernière, veuve d'un richissime américain, avait été impliquée dans un procès retentissant. Une sordide affaire remontant à 1891. "Les quarante-cinq autres prévenues ont bénéficié de l'indulgence du jury. Parmi elles, j'ai relevé les noms de Louise Fontane, Mireille Lestocart et de trois Sophie, salariées chez le même patron : Sophie Dutilleul, Sophie Guillet .... et Sophie Clairsange".<br /> <br /> L'affaire s'éclaircira lors du décès suspect du baron de La Gournay, membre fondateur d'une société occulte La Licorne noire. Plus de doute possible. Il existe nécessairement un lien entre ces deux affaires alambiquées. Il ne sera pas le seul à disparaître. Richard Gaétan, la couturier des élégantes parisiennes, finira de la même manière que son compère de La Licorne noire. Même fin pour Absalon Thomassin, artiste au Cirque d'Hiver. Outre le fait d'appartenir à cette fumeuse société secrète traitant de paranormal, un autre point commun les liait tous : celui de courir les femmes, chacun à leur manière. "Chacun sait que Richard Gaétan exerçait le droit de cuissage sur ses employées, quant au baron de La Gournay, il hantait aussi bien les couloirs des maisons de couture que celles de l'Opéra et des Folies Bergères".<br /> <br /> C'est Sophie Clairsange qui apprendra à Victor Legris la vraie personnalité de ces trois individus respectés et respectables aux yeux de tous. Sophie Clairsange qui sera protégée par la présence discrète, voire secrète, de Corentin Jourdan venu à Paris pour la sauver d'elle-même et de son désir de vengeance.<br /> <br /> "Le talisman de la Villette" de Claude Izner nous mène - une fois n'est pas coutume - dans le Paris de la Belle Epoque, qui n'avait de beau que l'expression. Par-delà l'enquête on découvre la vie des gagne-petits, domestiques, tâcherons, artisans, gens de maison, ouvriers, petits employés et la dure réalité qui est la leur dans de Paris illuminé, fou et inaccessible au Henri_de_Toulouse-Lautrec.jpgplus grand nombre. Au détour des pages on rencontre les compositeurs Satie et Debussy, le poète Mallarmé, l'écrivain Huysmans, tous férus d'ésotérisme ; mais aussi les peintres Toulouse-Lautrec, Bonnard ou Vuillard. En guise de postface, l'auteure présente un panorama de tous les grands événements de cette année 1894. La style est populaire, gouailleur, fleuri et poétique sans jamais être vulgaire. J'ai eu la brillante idée de commencer par le dernier tome de la série. Ce qui a eu pour conséquence d'être un peu perdue au milieu de tous ces personnages et de leurs habitudes. J'assume, sans regret. Le prochain Claude Izner, sera le premier de la série. Dont acte.
N
"Il est presque superflu de rappeler que Venise, et le Sestiere de Dorsoduro en particulier, ont toujours eu coutume d'accueillir un pot-pourri bigarré de gens et de situations de toutes provenances, et de les assimiler".<br /> <br /> Ainsi est Venise, ville-joyau posée sur son écrin couleur de mer. A Venise, rien n'est tout à fait pareil. Il y a toujours un décalage entre ce qui se prépare à Venise, dans Dorsoduro en particulier, et à Rome. Si dans la capitale tout fini par passer aux oubliettes, à Dordosuro tout refait toujours surface, deux jours ou deux ans plus tard. Mais chaque chose ou événement réapparaît ou se réalise. Il en est ainsi des conversations entre les habitants de Dorsoduro. Elles sont interminables, et reviennent sans cesse. "[...] ainsi les conversations ne se terminent jamais à Dorsoduro mais elles ont un pouvoir de réfraction comme l'eau, à l'infini, toujours ranimées, en mouvement".<br /> <br /> Il en est ainsi des Rumeurs. A Dorsoduro, elles ont toute leur place. Elles n'épargnent rien, ni - surtout - personne. Et à Dorsoduro, plus qu'ailleurs, elles ont du grain à moudre. A commencer par les habitants du palais Bialievski où vivent de vieilles familles vénitiennes : les Balmarin, les Tolotta Pelz et Bialevski, maître des lieux. "Il existait donc entre ces deux familles demeurant dans le palais Bialevski, les Balmarin et les Tolotta Pelz, divers rapports et même une symétrie manifeste et assez curieuse, une sorte de jeu de "pendants" : du côté des Tolotta Pelz, il y avait ces dux filles, Maria Paola et Maria Mathilde, qui étaient à peu près du même âge que leurs vis-à-vis Corrado et Osvaldo du côté Balmarin [...]. Ces "pendants", qui sautaient aux yeux, étaient pas mal remarqués et raillés par les Rumeurs circulant dans la ville, surtout celles de Dorsoduro [...]". Outre ces familles vénitiennes vivant et animant depuis des générations ce quartier atypique de Venise, demeuraient deux femmes - Maria Afflita et Uga - concierges du palais, que l'on utilisait à l'occasion selon les besoins. Selon la Rumeur, Maria Afflita était considérée comme une pauvre sauvage idiote.<br /> <br /> Mais revenons à ces familles qui peuplent ce palais du Dorsoduro. A commencer par les Balmarin. Alvise Balmarin, dentiste réputé - surnommé bien malgré lui le comte Gencive - est un Barnabotti. "Plusieurs des aristocrates qui se sont trouvés ruinés au 18ème Siècle lors des derniers temps de la République de Venise, s'étaient concentrés à Dorsoduro, dans la paroisse de San Barnaba, d'où ce surnom de "barnabotti"". La Rumeur, tel un brouillard automnal sur la Lagune, s'est répandue sur la personnalité d'Alvise Balmarin. Il a la réputation d'un individu extravagant, voire même frappé de folie manifeste, en comparaison de son père - Aleardo Balmarin - professeur de médecine réputé pour sa rigueur. Cette Rumeur qui fait et défait les réputations les plus solides, affirme même qu'Alvise Balamrin serait un alcoolique notoire. Celui-ci est resté dans l'ignorance totale de cette Rumeur surfaite à son égard !!<br /> <br /> Ce qui est certain et qui n'a rien à voir avec la Rumeur, c'est que Balmarin et Edoardo Bialevski se sont connus à Londres. De cette rencontre est née une amitié profonde et affectueuse. Edoardo Bialevski "n'est ni anglais, ni américain, ni polonais, il est, si vous voulez vraiment le savoir, un type de Vénitien d'autrefois". Veuf très tôt d'une jeune vénitienne aux yeux violets et aux cheveux roux - Licia Tressa - à la santé physique et mentale fragiles, sont beau-père répandra sur son gendre des histoires qui auront tôt fait de se transformer en Rumeurs persistantes.<br /> <br /> Autre ami intime d'Alise Balmarin et d'Edoardo Bialevski, vivant à l'étage noble du palais, Silvio Tolotta Pelz. "[...] des Rumeurs tendant à dénigrer son aspect le voyaient plutôt comme un cadavre juvénile très bien conservé, frais. Lorsqu'elles étaient toutes petites, ses filles l'avaient surnommé "le suaire" sans bien savoir ce que le terme signifiait. Il pouvait être exceptionnellement sûr de lui-même [...]. Et loin d'être mort, il pouvait au contraire devenir d'une vivacité extrême". Silvio Tolotta Pelz aurait donné n'importe quoi pour posséder un titre nobiliaire, alors qu'il était le fils d'une aliénée mentale.<br /> <br /> Tout ce petit monde vit en autarcie au sein d'un palais du Dorsoduro. Ils s'aiment, se haïssent, se rencontrent, viennent et repartent. Des couples se font et se défont au gré du temps et des humeurs. La Rumeur circule sur Dorsoduro comme le zéphire. Que dire de plus sur ce livre de Pasinetti qui nous fait revivre une des quartiers mythiques et précieux de Venise ? "De Venise à Venise" est un livre magnifiquement écrit, drôle, fin, raffiné, rempli d'un humour subtile, un peu à la manière des grands films italiens ... mais terriblement lent. Les histoires de ces trois familles se mêlent, s'entremêlent, se mélangent et se perdent. Il y a tellement d'histoires différentes avec tant de personnages que le lecteur a parfois du mal à s'y retrouver. On en vient à être pris de vertiges et d'avoir envie d'arrêter sa lecture avant la fin. Ce serait une erreur, mais j'ai parfois été tentée de le faire.
N
1er octobre 1814, les armées napoléoniennes sont battues devant Moscou et se retirent du bourbier russe. L'empire est envahi jusque sur les Champs Elysées. Napoléon Bonaparte vient d'abdiquer. La monarchie est restaurée et Vienne accueille un grand congrès censé régler la succession de cet immense empire. "Depuis les débuts du congrès, les rues étaient sans cesse un décor d'opérette où les uniformes de toute l'Europe se mêlaient aux tenues légères des filles du peuple, aux habits graves des Autrichiens, à cette population toujours incroyable de Magyars et de Tchèques, d'Allemands, d'Italiens, de Polonais, de Hongrois, de Bohêmes, de Slovaques et de Slovènes, de Serbes et de Croates, [...]".<br /> Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si un meurtre sordide ne venait d'être commis dans les jardins du palais de Schönbrunn. La découverte d'un corps méconnaissable et transformé en charpie n'arrange pas du tout les affaires du ministre de la police autrichienne, le baron Hager. Un meurtre dès le début du congrès devant décider du sort de l'Europe et des puissances, voilà qui n'augure rien de bon. Particulièrement dans les jardins d'un palais abritant l'impératrice Marie-Louise, épouse de Napoléon Bonaparte. De là à y voir un complot politique, ourdi par quelques fidèles de l'empereur français, il n'y a qu'un pas. Vite franchi, d'ailleurs, puisque la police vient d'arrêter le capitaine Hurault de Sorbée, proche de Napoléon.<br /> Le baron Hager décide de confier cette enquête hautement diplomatique à son meilleur élément, Janez Vladeski. Pour le moment, ce qui intrigue ce fin limier de la police d'état autrichienne ce sont ces meringues retrouvées dans une gamelle appartenant à la victime. Un tour rapide dans les environs de la capitale austro-hongroise permet à Vladeski d'apprendre que celle-ci a été vue dans les environs, qu'elle parlait avec un fort accent étranger - français ou anglais - et qu'elle emmenait avec elle les meilleures meringues de toute l'Europe. Qui peut vendre - à Vienne - de telles merveilles fondant dans la bouche, coulant dans la gorge avec un goût infiniment sucré et laissant sur les lèvres ce moelleux exceptionnel ? Pour trouver la réponse à sa question, Vladeski décide de faire la tournée de tous les cafés et pâtisseries viennois. Il veut savoir d'où elles proviennent et - surtout - qui les fabrique. C'est au Cheval borgne "[...] établissement grand comme une salle de danse qui vendait, derrière des étals, quantité de nourritures à tous les prix : pâtés, salmis, gratins, volailles en gelée, pièces rôties, légumes braisés ...", que Janez Valdeski découvre qui est ce génial pâtissier, roi de la meringue et autres douceurs. Ce n'est autre que Marie-Antoine Carême, cuisinier du prince de Talleyrand, résidant que palais de Kaunitz pour la durée du congrès. "Il était l'inventeur des gros nougats, meringues, suédoises, faisait comme nul autre les babas, les timbales, les pâtés chauds de poissons et de légumes, les vol-au-vent et la pâte feuilletée. [...] Il passait, malgré son jeune âge, pour le plus grand cuisinier vivant ...".<br /> Entre-temps, la police a mis un nom sur la victime. C'est Maréchal, le rôtisseur de Kaunitz, embauché par Carême le temps du congrès. Sa femme, Anna, venait de signaler sa mystérieuse disparition. Mais qui est ce Maréchal, dont Carême vante le renom et le professionnalisme de son rôtisseur ? "C'était un ours. Toujours d'humeur exécrable. Il ne s'entendait avec personne [...]. Il buvait, frappait sa femme". Beaucoup de raisons pour vouloir éliminer ce Maréchal, capable de se faire un ennemi dès la première rencontre. En plus, Maréchal est un bonapartiste de la 1ère heure. Autant dire que la piste du complot pour remettre Napoléon sur son trône est largement privilégiée par tous. Mais ce serait aller plus vite que la musique en simplifiant cette équation subtile à une seule inconnue. Car des inconnues, il y en a. Beaucoup, même. Les services d'espionnage, de contre-espionnage, les différentes polices autrichiennes qui se portent ombrage, la diplomatie - celle de Talleyrand - qui allient intérêts personnels et nationaux, les haines des uns, les rancoeurs des autres. Tout est là pour brouiller allègrement les pistes les plus solides. Qui aurait pu massacrer aussi sauvagement Maréchal ? Pour des raisons personnelles ? Professionnelles ? Politiques ? Est-ce un complot, un meurtre banal, querelle d'ivrogne ou bien encore crime passionnel maquillé en meurtre sadique ?<br /> "Le cuisinier de Talleyrand" de Jean-Christophe Duchon-Doris est un livre palpitant, c'est le moins que l'on puisse dire. Du début jusqu'à la fin on recherche la vérité en compagnie de ce Janez Vladeski, beau brun ténébreux aux superbes yeux bleus, mi-tzigane, mi-prince de sang. A chaque page, de nouvelles pistes se forment, se défont, se transforment, vont et viennent, laissant le lecteur perdu dans un labyrinthe diplomatique et culinaire. Parce que - en plus d'une enquête policière - on mange dans ce livre. Et bien. Parfois même jusqu'à l'écœurement. Et l'on danse sous les lambris dorés des palais viennois. Jusqu'à l'évanouissement. On boit aussi. Les plus grands vins français, autrichiens, italiens, allemands. On vit les méandres du congrès de Vienne et les tractations entre Talleyrand - toujours au sommet - et Metternich. Seul bémol. Parfois des descriptions de Vienne, de soirées, de détails vestimentaires qui peuvent paraître redondants. Mais ceux qui veulent découvrir cette superbe ville, ses environs, l'art de la table et de la grande cuisine, sans oublier les énigmes policières, ceux-là devraient y trouver leur compte.
N
"Oui, c'est bien la guerre qui déferle sur Berlin. Hier encore ce n'était qu'un grondement lointain., aujourd'hui c'est un roulement continu. On respire les détonations. L'oreille est assourdie, l'ouïe ne perçoit plus que le feu des gros calibres. Plus moyen de s'orienter. Nous vivons dans un cercle de canons d'armes braquées sur nous, et il se resserre d'heure en heure".<br /> L'auteur, qui écrit ses première lignes le vendredi 20 avril 1945 à 16 heures, est une jeune femme de trente ans, journaliste et appartenant à la bourgeoisie prussienne. Elle a voyagé dans toute l'Europe et a vécu à Moscou, Londres et Paris. Alors que Berlin est à feu et à sang, encerclée par l'armée soviétique, que la population se terre dans des abris de fortune, que la mort, la misère - tant morale que matérielle - est le lot de chaque berlinois, cette jeune femme qui a voulu garder l'anonymat a conscience de sa qualité de témoin direct des événements.<br /> Sa grande préoccupation du moment - outre la faim qui la tenaille et l'assaille au point de devenir obsessionnelle - est de savoir si elle sera encore capable de parler le russe. "Mon russe est rudimentaire, c'est le langage utilitaire, piqué à gauche et à droite. En tout cas, je sais compter, dire la date et lire les lettres de l'alphabet. Tout me reviendra vite maintenant que je vais m'exercer". Au cours de la tenue de son journal, elle se demandera si cette connaissance du russe est bien une qualité ou un défaut. Mais elle l'assume et cela la rassure un peu de pouvoir parler avec les premiers soldats russes entrés dans Berlin. Alors que la plupart de ses compatriotes n'entendront que des sons, des cris, des borborygmes, elle, perçoit la mélodie d'un Tolstoï ou d'un Pouchkine. Elle comprend très vite que ces soldats sont aussi des êtres humains malgré sa peur, et non des hordes sauvages comme la propagande nazie l'a prétendu. "[...] mais quand je m'adresse à eux, c'est d'être humain à être humain, et je suis capable de distinguer ceux qui sont mauvais de ceux qui sont supportables, je sépare le bon grain de l'ivraie, je sais me forger une image de chacun".<br /> Mais comme toutes les armées de vainqueurs, les soldats russes vont se comporter de manière odieuse. Leur arrivée dans la capitale allemande est vue comme un moment de terreur absolue, surtout pour les femmes et les jeunes filles. Les allemandes seront obligées de se cacher pour échapper aux assauts de bataillons de poursuivants. Les viols vont devenir le quotidien de presque toues les berlinoises à cette période. L'auteur, comme la majorité des femmes de son âge, subira des agressions sexuelles répétées. Elle se sentira sale et ne pourra plus se supporter, comme toujours. Ce qui l'aidera à tenir, c'est cette foi en l'amour comme un plaisir, un partage, non comme une contrainte, une salissure et un dégoût de soi. "Je n'ai jamais pu m'empêcher de penser quelle chance j'avais eue jusqu'alors - dans ma vie, l'amour n'avait jamais été une corvée, c'était un plaisir. On ne m'avait jamais forcé et je n'avais jamais dû me forcer. C'était bon, tel que c'était". D'ailleurs ces viols - dont le thème est récurent tout au long de la tenue de son journal - sont surmontés de manière collective. Chaque femme libèrera la parole, osera dire et raconter son agression et aidera ainsi une autre femme à se soulager de cette bassesse. Elles évacueront leurs haines, leurs rancoeurs de cette façon, même si certaines - plus fragiles - seront brisées à tout jamais et en garderont les stigmates toute leur vie.<br /> Mais résumer la chute de Berlin à une série de viols collectifs et de vols en bandes organisées serait aller un peu vite et rendrait la situation du moment impalpable. Il y a tout le reste autour. Hormis la recherche incessante et effrénée de nourriture, de bois pour se chauffer et d'eau pour se laver, il y a la course ... à l'information. Berlin est tombée. Soit. Mais comment ? Quid des combats, des dirigeants nazis ? Et l'avenir de l'Allemagne ? Même s'il n'y a plus de journaux, tout le monde se précipite pour entendre des nouvelles glanées ici et là, transmises par le bouche à oreille. Grâce aux relations liées avec les soldats russes, l'auteur peut avoir des nouvelles fraîches sur l'avancée des combats. "Il nous parle de la destruction du centre de Berlin, du drapeau qui flotte sur les ruines du Reichstag et de la porte de Brandebourg. [...] D'Adolf, il n'a rien à dire, confirme en revanche le suicide de Goebbels avec sa femme et tous ses enfants".<br /> Et puis, il y aura les premières rumeurs concernant la capitulation de Berlin, le 2 mai 1945. Cette paix sera - enfin - accueillie comme un vrai soulagement, comme une joie, malgré la poursuite de l'offensive. Mais qui parle de paix, parle avenir. Et chacun d'envisager le futur proche comme un renouveau, une renaissance. Ce qui angoissera, c'est l'avenir de l'Allemagne. Qu'en sera-t'il ? Surtout avec les nouvelles qui commencent à arriver en provenance de l'Est qui inquiètent et paraissent insupportables à l'auteur. "Il paraîtrait qu'à l'est, des millions de gens, pour la plupart des juifs, ont été brûlés dans des camps, de grands camps [...]. Et ce qu'il y a de plus incroyable : tout aurait été soigneusement noté dans de gros livres, registres comptables de la mort. Il se fait que notre peuple aime l'ordre".<br /> Je pourrais vous parler encore longtemps du contenu de "Une femme à Berlin". Ce journal écrit à la base pour tenir le coup face à une situation extrême, est devenu au fil des générations un véritable témoignage de l'horreur au quotidien dans Berlin assiégée. Ce qui surprend lors de sa lecture c'est la distance, le cynisme de la part de cette jeune femme. Comme si plus rien, ni personne ne pouvait l'atteindre dans son effroi. Les situations dramatiques côtoient sans cesse des passages remplis d'humour ou de fantaisies, comme cette sortie en bicyclette de l'auteur à travers les rues dévastées et solitaires de la capitale. Elle pose aussi un regard cruel sur ses congénères. Elle prend très vite conscience que la renaissance de Berlin et de toute l'Allemagne passera par les femmes, chevilles ouvrières et seules capables d'assumer les monstruosités subies de part et d'autre. Seul point d'interrogation en lisant "Une femme à Berlin", et de taille compte tenu du contexte : l'auteur était-elle ou non d'accord avec la politique nationale-socialiste ? Rien ne peut l'affirmer. Mais rien ne vient l'infirmer. Plus sûrement quelqu'un qui a suivi le mouvement, sans se faire remarquer et en se dégageant de tout fanatisme. Dans tous les cas, "Une femme à Berlin" est un vrai chef d'oeuvre comme on en lit peu.
N
Critique littéraire presque sans lecteurs au journal suédois Le Morgonstörn, Lars Andemening est persuadé d'être depuis toujours un enfant adopté d'origine polonais, entré clandestinement en Suède. Il est convaincu que son père n'est autre que Bruno Schulz, juif polonais auteur de contes particuliers et du "Messie", chef d'œuvre disparu. Son sentiment d'avoir sa place ailleurs, de s'être fabriqué lui-même, conduit Lars à se marginaliser dans sa vie privée et professionnelle, à vivre seul et librement et à apprendre le polonais pour mieux appréhender l'œuvre de ce père totalement inconnu.<br /> De plus, Lars est sûr et certain du talent de ce cher disparu. S'il avait vécu, Bruno Schulz aurait reçu le Prix Nobel de Littérature. Il ne pouvait pas en être autrement. "Son père était là chez lui, dans les ventricules de l'Académie [...]. Son père était né pour faire partie de ce Panthéon - avec Selma Lagerlöf et Knut Hamsun ; avec Camus et Pasternak. Shaw, Mann, Pirandello. Faulkner, Yeats, Bellow, Singer, Canetti ! Maeterlinck et Tagore. [...] Son père, s'il avait vécu, aurait remporté le Grand Prix. Cela allait de soi. Il appartenait à cette compagnie magistrale".<br /> Dans la banalité de son existence, Lars a une confidente - Heidi - Allemande et libraire au passé sombre. Elle sait tout ce qu'il sait sur son père spirituel. Il lui raconte la connaissance qu'il possède sur ce père putatif, sa ressemblance tant physique qu'intellectuelle. Au long de leurs rencontres dans la librairie déserte, Heidi devient petit à petit une associée de Lars dans son délire, sorte de passeuse du destin paternel. Elle aussi connait par coeur les oeuvres de Bruno Schulz pour les avoir lues. "Elle connaissait déjà intimement les livres de son père - ce n'était pas un tour de force, disait-elle, dans la mesure où l'oeuvre complète tenait en deux petits volumes. - Trois, disait Lars. N'oubliez pas "Le Messie". - Pas s'il est perdu. Il n'existe pas. On ne peut pas compter ce qui n'existe pas".<br /> Le problème c'est que "Le Messie" est l'obsession de Lars, au point de vouloir partir à la recherche de l'ouvrage qui a dû disparaître avec son auteur, un jour de 1942 quelque part en Pologne. Un soir, Lars apprend qu'il a une soeur, Adela, qui se prétend - elle aussi - la fille de Bruno Schulz et l'héritière de sa mémoire. "- Qu'a-t-elle dit ? Qu'a-t-elle dit exactement ? - Que l'homme qui a écrit "Le Messie" était son père. - Mais c'est mon père à moi ! cria Lars. Heidi rayonnait d'une félicité retorse. - Si le manuscrit n'existe pas, et si la fille n'existe pas ... - Vous savez qu'il n'y a pas de fille. - ... alors peut-être qu'il n'y a pas de fils non plus. - Mais je suis ici. Me voici. - C'est exactement ce qu'elle a dit, elle. Une énonciation biblique. Et elle est tout aussi convaincu que vous".<br /> A la recherche de son "Messie" qu'il pense avoir retrouvé, Lars ira de surprises en déconvenues. Il rencontrera le mystérieux docteur Eklund, mari de Heidi, tantôt psychanalyste, tantôt gastro-entérologue, qui lui certifie avoir aperçu Bruno Schulz à Paris en 1938. Il assistera à l'analyse de son "Messie" réalisé par le même étrange docteur Eklund dont Lars était sûr de son inexistence. Il lui confirmera que l'ouvrage est le vrai, le seul et l'unique. Lars aura bien du mal à comprendre ce qui lui arrive et sera persuadé d'avoir été manipulé par les trois personnages qui lui ont présenté "Le Messie" comme original. "C'est un faux, n'est-ce pas ? Mme Eklund, c'est un faux, avouez-le ! C'est un faux, et vous voulez que je le fasse passer pour un vrai. Que je le légitime pour vous. Comme c'est facile, je suis exactement l'homme qu'il faut pour le faire ! Pour le faire passer pour vrai aux yeux du monde, avouez-le !".<br /> "Le Messie de Stckholm" de Cynthia Ozick laisse le lecteur quelque peu pantois longtemps encore après la fin de sa lecture. Livre sur l'adoration ou la passion que l'on peut éprouver, ressentir envers un auteur, c'est aussi - en fond - un livre sur la manipulation, le mensonge, le passé arrangé. Chaque personnage possède une part d'ombre qui est souvent plus importante que la partie visible. Chacun cherche à cacher quelque chose aux autres protagonistes. On se demande tout au long de la lecture du "Messie de Stockholm" si ce n'est pas le lecteur que l'on veut manipuler, le perdre dans un imbroglio historique et psychologique. C'est un livre enlevé, drôle et profond à la fois, qui traite du délire sur un fond d'histoire de la Shoah.
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